Education : Wan, le village oublié et ses classes sous paillotes

Publié le vendredi 3 novembre 2017 à 15h16min

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Education : Wan, le village oublié  et ses classes sous paillotes

Un terrain nouvellement débarrassé de ses hautes herbes et sur lequel trône désormais trois hangars ou paillotes (un jeu de mot qui ne change pas la réalité). Il y a trois ans, le premier abri de fortune a poussé et chaque année un autre s’ajoute. C’est là que les enfants ont rendez-vous avec les enseignants pour apprendre à lire, à écrire..., dans ce village enfoui dans les profondeurs de la commune de Bondigui, province de la Bougouriba, région du Sud-Ouest. Lasses de s’être saignées depuis des décennies pour construire une première école, aménager une route, construire des points d’eau et récemment un centre de santé, les populations qui s’estiment abandonnées et oubliées, ont les regards désormais rivés sur leur gouvernement. A lui de jouer enfin son rôle régalien.Grand reportage.

“Accroche-toi bien”, nous conseille notre guide quand nous quittons la RN 12 (Diébougou-Bobo Dioulasso), à gauche à partir de Bondigui, pour entamer la piste rurale qui conduit au village de Wan. “Il s’est réfugié” (Wan), en langue Djan, porte bien son nom. Sur un trimard rural en piteux état, et au milieu d’une forêt boisée de part et d’autre, il faut pister prudemment son chemin.

Le village de 1874 habitants, selon le recensement général de la population (2006), est à environ 6 km de la commune rurale de Bodigui qui elle-même est distante de Diébougou (chef-lieu de la province de la Bougouriba) de 30 km. Le Djan, le Lobiri, et le Dioula sont les langues parlées de la bourgade qui, en cette soirée du 17 octobre 2017, est quelque peu calme. C’est la période des récoltes et les villageois majoritairement agriculteurs, sont allés chercher les fruits de leurs labeurs dans les champs.

L’école primaire ’’B’’ de Wan

Du coup, on est loin de l’animation habituelle dans les cabarets et autres lieux de rencontres. C’est plutôt dans les écoles que le brouhaha rompt le silence général. Justement dans un coin du village, trois hangars se dressent sur un terrain nouvellement désherbé. C’est l’école ’’B’’ de Wan, réfugié au tréfonds du village, comme une face hideuse que l’on cherche vainement à cacher. Des hautes herbes encore luxuriantes ceignent en C, le périmètre de l’école.

Du CP1 au CE1, trois années sous paillotes

Sous une des paillotes, l’heure est à la lecture. A tour de rôle, les élèves passent avec un bâton pour lire, sous les yeux attentifs de l’instituteur certifié, Lazare Sanou. C’est lui qui, il y a trois ans, a porté sous les ’’fonds baptismaux’’, la première paillote. Après 10 ans de fonction, il faisait sa première expérience d’une école de ce type. Affecté en septembre 2015, il se rendra compte qu’en réalité, il est directeur d’une école qui n’existe que sur les papiers. Aux pieds d’un arbre, sous une paillote, un hangar, dans une case..., c’était à Lazare Sanou de se débrouiller pour trouver la solution d’inscrire la première promotion.

« J’étais seul à l’ouverture. Le site initial se trouve à la sortie du village. Vue la distance et au regard de l’âge des tout-petits, on a négocié un local. C’est en 2016 que nous sommes venus sur ce site. On s’assoit sur les tables-bancs comme les élèves. Ça fait trois ans que je n’ai pas une seule chaise », témoigne le directeur. Ses élèves, qui n’ont jamais pris cours dans ’’une classe normale’’ sont actuellement en classe de CE1.

Entre temps, en 2016 puis en 2017, deux autres ’’classes’’ ont été ouvertes, ce qui porta le nombre de hangars à trois avec un effectif total de 81 élèves réparti comme suit : 35 élèves au CP1, 28 élèves au CP2 et 18 élèves au CE1. Sur le site, encore éberlué par ce qui fait office d’école, on est vite tiré des sentiments entremêlés par l’enthousiasme qui règne sous chaque paillote. « Moi, Monsieur », « Moi Madame ».

Une vie d’école sous paillote

La classe de CE2 en plein cours

« C’est exposé, et pour que les enfants suivent les cours même, c’est tout un problème. Ils sont distraits de tous les côtés. Nous essayons de tenir. Voyez-vous avec ma taille, ma tête se heurte chaque fois à la paille de la toiture et ce sont les enfants eux-mêmes qui m’interpellent tout temps par ’’eh Madame, Madame l’arbre là va cogner votre tête hein » ; tranche de vie racontée par Alimata Coulibaly qui tient la classe de CP2.

Ses dires sont confortés par sa collègue du CP1 qui avoue que le plus dur, c’est quand par exemple un camion traverse le village. Là, il faut carrément interrompre momentanément les cours. « Regardez, suivez », ne cesse de marteler les enseignants.

Dans ces conditions, inutile de dire que le sport est un luxe, même si cela est une matière indispensable. « Mes élèves sont au CE1. Dans trois ans, ils seront au CM2, un examen les attend. Ils doivent apprendre à courir et à sauter. Doit-on en vouloir à ces enfants si une fois au CM2 ils n’arrivent pas à bien courir et à bien sauter ? », demande le directeur Lazare Sanou.

Alimata Coulibaly elle, fait sa première expérience dans l’enseignement. A peine a-t-elle quitté les bancs de l’école de formation qu’elle retrouve un autre banc, cette fois sous un hangar, et dans le rôle d’institutrice. De la théorie à la pratique, le fossé est abyssal. « Ce qu’on a appris à l’école, on ne peut l’appliquer ici. Les affiches, il n’y a en a pas. Les cahiers, règles et autre, nous les déposons dans une cour voisine. L’amour du drapeau doit commencer dès le bas-âge, les enfants doivent monter le drapeau le matin et le descendre chaque soir. Comme il n’y en a pas, on fait des schémas pour leur montrer les différentes couleurs », disserte-t-elle.

Des hautes herbes autour de l’école fréquentée par des mômes

Outre, l’environnement qui n’est pas propice à l’enseignement des tout-petits, il y a le manque du minimum pour tenir (au moins) sous les hangars. Les tables-bancs du CP1 ont été empruntées et dans les jours à venir, les apprenants pourraient s’asseoir à même le sol ou apporter carrément des tabourets à l’école.

Bê Kporo Kam, président de l’Association des parents d’élèves ne cache pas sa colère. « On achète le secco (Ndlr. paille), quand la pluie bat, ça se gâte et il faut refaire. C’est avec nos petites économies que nous achetons les tableaux, à 22 500 F CFA l’unité. Même les tables-bancs, on va emprunter. Au CP1, les enfants étaient assis à même le sol. Nous sommes allés en demander après. Si la campagne d’alphabétisation Djan recommence, ils vont récupérer leurs bancs et leurs tableaux. On demandera peut-être aux élèves d’envoyer leurs tabourets. Je cours de gauche à droite pour négocier, je suis fatigué de demander... », fulmine le président.

C’est donc avec impuissance que le village observe la débrouillardise des enseignants et des élèves, soumis également aux intempéries de toutes sortes. « Aujourd’hui au Burkina Faso, voir encore une école sous paillotes plus de trois ans, ce n’est pas possible. A la radio et à la télé, on voit que le gouvernement lutte contre cela. On ne comprend pas pourquoi ici, il n’y a pas de construction », rumine de son côté Pascal Kam, notable du village, délégué par le chef.

Depuis 3 ans les élèves apprennent dans un abri précaire

Dans ces types d’écoles, le danger se cache souvent derrière la paille. « Vous voyez les herbes sont touffues, si un reptile sort ici, c’est la débandade », note le directeur.

Justement le pire a failli arriver dans une des 30 classes sous paillotes que compte la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Bondigui. Le conseiller pédagogique de l’inspection de la commune, Arsène Bê Palm, nous confie qu’un serpent est une fois tombé du toit en plein cours. Ce fut la débandade. Mômes et enseignante y compris. Ce sont les garçons de ladite classe qui auraient tué le reptile, alors que ’’Madame’’ tremblait de tout son corps.

« Au CP2, un bois a heurté ma tête, je saignais. J’ai dû nettoyer avec du lotus en cachant pour que les enfants ne voient pas. J’étais obligé entre temps de porter un bonnet pour ne pas me cogner la tête », raconte pour sa part, Lazare Sanou avant de tirer. « S’ils n’ont pas les moyens, c’est mieux de ne même pas ouvrir une école. Eux, ils ne sont pas sur le terrain. Il ne faut pas s’asseoir à Ouaga là-bas, et accepter l’ouverture d’une école, sans connaitre la réalité ».

La qualité attendra...

Ignace Kam, ressortissant du village le village’’On se sent oublier’’

Quel type d’enseignement est dispensé dans ces conditions, en ces lieux d’assimilation des premiers savoirs ? Malgré la volonté des instituteurs adossée à l’enthousiasme des élèves, la réalité est comme un boulet qui tire la qualité de l’éducation dans ces écoles vers le bas. « Je crois que c’est un travail très insuffisant que nous faisons ici. Il faut le dire », résume sans ambages, le directeur Lazare Sanou. Soumis à un programme, et pour être dans le temps, les leçons écrites au tableau sont progressivement effacées, même quand elles ne sont pas bien assimilées.

« Ce sont des enfants burkinabè comme les autres, ils ne sont pas à part, ça nous fait mal. Vous-même, écoutez le bruit », soupire Bê Kporo Kam, pendant que Ignace Kam, conseiller municipal de la commune et fils de Wan, encourage le directeur et les deux dames. Lui-même étant enseignant, reconnaît l’exploit quotidien des trois obligés. « Les petites classes ont besoin de grands tableaux parce que ce qu’ils apprennent aujourd’hui doit rester en visuel, les enfants doivent voir cela pendant une semaine ou plus, pour mémoriser. Les affiches règlementaires, les enseignants n’en ont pas », note le conseiller municipal et enseignant.

« Nous faisons du tâtonnement »

Le directeur de l’école, Lazare Sanou ’’Nous faisons du tâtonnement’’

« Dites à l’Etat, dans la mesure du possible, d’effacer les écoles sous paillotes dans toutes les régions du Burkina Faso, parce que nous ne faisons pas de l’enseignement, mais du tâtonnement. Si on veut une jeunesse bien préparée, il faut construire, ne serait-ce que deux, trois salles de classe, et attendre pour la normalisation », plaide Lazare Sanou pour qui, ils ont le devoir malgré les conditions, de faire leur travail. C’est un sacerdoce avant tout pour eux.

« Nous avons opté pour l’enseignement. Si nous on refuse, qui va enseigner ? Nous sommes de passage et nous allons donner le meilleur de nous-mêmes. C’est peut-être d’autres qui vont bénéficier de la construction de l’école. Nous allons donner le maximum de nous-même pour que les enfants sortent avec leur CEP », a-t-il poursuivi.

« Le gouvernement n’existe pas ici »

Le président de l’Association des parents d’élèves, Bê Pkoro Kam ’’Le gouvernement n’existe pas ici’’

L’école ‘’B’’ de Wan est une particularité, une « exception », selon le mot du maire de la commune de Bondigui, Sié Francis Sou. Il y a certes une trentaine de classes sous paillotes disséminées à travers les 14 villages de la commune, mais il n’y a qu’à Wan que toute l’école est en paille. Ailleurs, cette solution D complète des classes déjà construites mais insuffisantes. Ce sont des écoles en cours de normalisation, selon le terme technique.

Mais à quand la fin du calvaire des enseignants et élèves de l’école ‘’B’’ de Wan ? Le site est déjà choisi, mais la construction de l’infrastructure se fait attendre malgré les promesses faites au directeur. « L’année passée, l’inspecteur m’a appelé dans son bureau. Il m’a dit que l’année prochaine, cette année donc, il y aura un projet de construction de quatre salles de classe et que le maire va se déplacer pour venir voir le site avec ses collaborateurs ». Heureux, il appelle ses collègues pour leur apporter la bonne nouvelle. Finalement, la déception fut à la hauteur de l’espoir suscité par la promesse.

Le maire qui nous a effectivement confirmé que le choix du site est fait ne sait pas non plus quand l’école sera construite. Le bourgmestre de Bondigui confesse que la municipalité n’a pas assez de fonds pour cela. Lui et ses collaborateurs attendent les fonds transférés, c’est-à-dire l’allocation annuelle de l’Etat central. Mais elles sont insuffisantes pour construire une école.

Le village qui a déjà saigné pour plusieurs projets se dit à bout de force. A l’Etat de jouer son rôle régalien. En effet, Wan dispose déjà d’une école, Wan ‘’A’’. Elle a été construite grâce à l’abbé Sié Mathias Kam, prêtre du diocèse de Diébougou, mais en service à Ouagadougou, en tant que secrétaire général de la conférence épiscopale Burkina- Niger. Natif de Wan, nous l’y avons trouvé alors qu’il poursuivait sa convalescence. Des « amis m’ont aidé à avoir la toiture, du ciment. Les habitants du village ont acheté les pierres taillées et ont fait les travaux et ont servi de main-d’œuvre. C’est ainsi qu’on a construit la première école à trois classes, avec les logements pour enseignants », rappelle-t-il. Des forages et bien d’autres infrastructures ont vu le jour dans le village grâce à lui.

Le CSPS nouvellement construit, l’aménagement et l’entretien de la route Bondigui-Wan, sont le fruit des sacrifices des villageois. « Le village est fatigué de se prendre en charge. Tout ce qui existe ici comme infrastructure, c’est l’œuvre des villageois. On s’attendait à ce que la construction de l’école B se fasse rapidement pour remettre la population en confiance. Sinon c’est comme si ce village ne faisait pas partie de la commune ou même du Burkina. On se sent oublié. Nous qui sommes politiques, quand nous essayons de sensibiliser la population, elle nous fait savoir qu’ailleurs l’Etat construit des CSPS et des écoles, alors qu’ici elle doit toujours cotiser. Souvent on est même gêné », nous raconte le conseiller municipal Ignace Kam, siégeant au conseil régional à Gaoua.

Très remonté, le président APE Bê Kporo Kam assène que le gouvernement n’a jamais rien fait dans ce village. « Je n’ai jamais vu quelque chose que le gouvernement a fait ici. Le gouvernement n’existe pas ici. Pourtant on vote tout le temps, mais on ne voit rien ».

Selon Abbé Sié Mathias Kam, Wan mérite d’être soutenu dans ses efforts d’auto-prise en charge

L’abbé Sié Mathias Kam soutient, quant à lui, que la mairie et l’Etat devraient encourager les villageois à poursuivre leurs efforts. « On demande beaucoup aux gens sans les aider à produire l’argent. Cela fait 40 ans que je fais ce que je peux. Les politiciens viennent dire on va faire, on va faire, mais au finish, on ne voit rien. Il y a des villages qui font beaucoup d’efforts, il faut les aider et ils feront davantage... », prêche l’homme d’Eglise.

En attendant, Arnaud Kam en classe de CE1 et ses camarades, toujours aussi enthousiastes que curieux, sont sous un abri précaire. A la merci de l’harmattan, du soleil à certains moments de la journée et de bien d’autres désagréments. Ce, dans l’espoir qu’une quatrième paillote ne sera pas construite, en guise de CE2 pour la rentrée prochaine. Mais une école ’’normale’’ comme celle des autres enfants burkinabè.

Tiga Cheick Sawadogo (tigacheick@hotmail.fr)

Lefaso.net

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